- Joe La Pompe, c’est évidemment un pseudo car :
1) vous tenez à garder l’anonymat puisque vous travaillez dans une agence de publicité
2) vous n’êtes pas vous-même publicitaire, mais pointer du doigt les publicitaires qui se piquent des idées est un exercice démocratique périlleux ?
Je travaille dans le milieu de la publicité en effet. C’est le côté polémique et sulfureux de ma démarche qui a fait que je me suis caché. Au départ de l’aventure, elle a suscité beaucoup de débats houleux et j’ai reçu quelques menaces, j’ai donc préféré rester en retrait, me protéger. Aujourd’hui que tout le monde comprend ma démarche et qu’elle s’est généralisée (il existe d’autres sites dénonçant le plagiat dans d’autres domaines : mode, design de sites) je pense que je pourrais tomber le masque. Sauf que c’est devenu un personnage, une marque… et j’ajouterais que j’aime bien rester dans l’ombre dans un monde ou tout le monde tuerait père et mère pour quelques minutes de lumière !
- Depuis combien de temps traquez-vous le plagiat ?
Très exactement depuis 1999 soit le siècle dernier…
- Comment réagissent les agences lorsqu’elles sont citées sur votre site ?
Elles essayent plutôt d’éviter le sujet ou d’en minimiser l’importance. En général elles assimilent ça à un « accident industriel » mineur. Elles n’aiment pas trop s’attarder sur le sujet et on les comprend. Donc le plus souvent elles tentent d’ignorer le problème au lieu de le traiter. La politique de l’autruche, quoi.
- Après un livre et un site sur ce thème, vous cherchez à nous faire comprendre que les idées appartiennent à tout le monde ou que les publicitaires n’ont pas d’idées ?
Je cherche surtout à attirer l’attention sur l’importance d’avoir de la culture pub dans un métier où les gens sont très jeunes et globalement assez amnésiques. Ils croient sans arrêt réinventer la roue, alors qu’ils ne font souvent (hélas) que réchauffer des recettes du passé. Et souvent sans même s’en rendre compte, ce qui m’attriste.
- Quel est le plus beau pompage que vous ayez répertorié jusqu’à présent ?
Je conseille à vos lecteurs d’aller sur mon blog dans la rubrique « TV ». Certains spots sont tellement identiques que le doute n’est même plus possible !
http://www.joelapompe.net/2011/05/28/nissan-leaf-renault-ze-tbwa-publicis/
http://www.joelapompe.net/2012/08/13/100-pure-copycat-une-pure-copie/
http://www.joelapompe.net/2012/02/26/totally-nuts-ca-me-les-brise/
http://www.joelapompe.net/2012/01/13/banned-condoms-children-zazoo-zerozerofour/
Ce que j’adore aussi c’est quand deux grandes marques très connues pondent la même idée. Ou que deux agences d’un même groupe revendent la même idée à deux clients…
- Qui triche le plus : les grandes ou petites agences ? Y a-t-il des pays moins inspirés ?
Disons que les pays n’ont pas tous la même culture créative. Certains refont des choses déjà vues par simple méconnaissance de l’histoire de la pub, parce qu’ils se sont mis à faire des campagnes internationales plus récemment (la Chine, certains pays du Moyen Orient) Quant aux agences, il n’y a pas de règle, j’épingle des grosses et des petites. On pourrait croire que les grosses sont plus armées pour se prémunir de tels accidents mais c’est loin d’être le cas. DDB est le réseau le plus épinglé sur mon site et pourtant il est censé être l’un des plus créatifs !
- De part votre expérience, le web est-il propice aux « repiquages » ou la traçabilité numérique limite-t-elle cette pratique ?
J’ai bien cru que la traçabilité numérique réduirait totalement le phénomène et à ma grande surprise c’est plutôt le contraire qui se passe. Internet est devenu un vaste supermarché de l’idée et démultiplie à l’infini les possibilités de recyclage rapide et discret ! Il faut dire aussi que personne ne prend le temps de vérifier si une idée a déjà été réalisée. Sans doute que la difficulté de la tache en décourage plus d’un. Pourtant, avec Internet justement, vous pouvez être sûr que quelqu’un retrouvera tôt ou tard l’original !
- Que pensez-vous des « ghosts » qui hantent les festivals publicitaires ? Un bien ou un mal ?
À première vue c’est un mal. Et pourtant je pense que la faute n’est pas à mettre sur le compte des créatifs que l’on accuse ainsi de triche. S’ils agissent ainsi, c’est aussi parce que la crise pousse souvent les annonceurs à refuser toute audace créative. Et cette frustration trouve dans les ghosts un moyen de compensation. Après tout si c’est la seule façon pour faire de la bonne créa, originale et étonnante, j’en conclu que c’est mieux que rien. Disons que c’est un « exercice de style » et qu’il faut le prendre comme tel. Je trouve plus grave de pomper que de « ghoster ». Le comble étant de faire un ghost avec une idée pompée (ça existe) !
- Aujourd’hui, avec votre nouvel ouvrage « Joe La Pompe : 100 visual ideas, 1000 great ads », vous changez de fusil d’épaule. S’agit-il d’un cours sur l’histoire de la publicité ?
J’avais deux choix en me lançant dans un nouveau livre : faire une suite au 1er ou essayer d’innover. Comme je n’aime pas les redites, j’ai choisi la 2e option ! Du coup, j’ai bien regardé tout ce qui pouvait exister comme livres sur la pub (les Art Directors Club, les livres d’agences, les sagas de marques…) et j’ai essayé de faire autre chose. J’avais envie d’offrir le livre qui manquait aux passionnés de pub. Un livre qui aborde la création au travers non pas d’une période ou d’un pays donné mais au travers de thèmes, d’images et de symboles récurrents. Ce qui, à ma connaissance, n’a jamais été fait. Ce livre permet de muscler sa culture pub. C’est une sorte de guide, de manuel pour ne pas finir épinglé sur mon site. Je voulais aussi un ouvrage plus positif, qui mette en avant mon côté passionné et me permette de partager mes goûts en matière de pub, afin de ne pas passer uniquement pour quelqu’un de critique vis-à-vis de la profession.